Les préparations verticales

Le tracé de la limite est déterminant lors de la préparation car il va conditionner la précision du joint dento-prothétique et l’intégration parodontale de la restauration.

Les préparations dites horizontales, congé (chamfer) ou épaulement (shoulder), sont les plus utilisées, cependant les préparations verticales (feather-edge, knife-edge, shoulderless) présentent des avantages intéressants:

– Techniquement, elles sont plus faciles à tracer que les limites horizontales, et leur lecture est plus aisée pour le prothésiste.

– Elles sont moins invasives (Borelli B 2015). Selon Zöllner (2000), 2mm de dentine résiduelle sont nécessaires pour prévenir une réaction pulpaire, d’où l’intérêt de réduire la profondeur de la préparation au niveau du tiers cervical . De plus elles permettent de conserver un ferrule plus important au niveau des dents dévitalisées (Schmitz 2017).

– Le joint dento-prothétique est plus fin (Fusayama 1964, Gavelis 1981, Comelekoglu 2009)

– La gencive peut être épaissie grâce au curetage gingival rotatif effectué lors de la préparation (Scutellà 2017, Loi 2013)

– L’incidence des récessions gingivales est nettement plus faible (Scutellà 2017, Paniz 2017)

– Il est possible de modifier le contour gingival (apicalement, coronairement ou latéralement) en ajustant le contour cervical de la couronne (Scutellà 2017, Loi 2013). Le principe étant d’adapter le contour gingival au contour cervical, et non l’inverse.

Préparations verticale et horizontale

Epaisseurs minimales des couronnes en céramique

Avant de commencer la preparation, il convient de déterminer l’espace nécessaire pour la céramique. Ceci dépend de la nature du matériau de restauration prévu (disilicate, zircone ou autre; monolithique ou stratifiée), dont le choix varie lui-même en fonction de la teinte de la préparation, de la qualité du substrat, du contexte biomécanique ainsi que de la localisation de la dent (antérieure ou postérieure). (McLaren 2015)

S’ajoutent à cela des variations topographiques: la réduction au niveau du collet n’est pas la même qu’au niveau du tiers moyen, qui elle-même diffère de la réduction occlusale.

Au niveau de la limite cervicale, l’épaisseur minimale de matériau requise est de 0.5mm pour la zircone (Scutellà 2017, Kasem 2020, Patroni 2010, Sorrentino 2019, Reisch 2008). Concernant les céramiques type disilicate, usinées par cad-cam, l’épaisseur doit être au minimum de 0.8 à 1mm pour éviter la casse lors de l’usinage, quitte à affiner le bord des couronnes manuellement après sintérisation. En technique pressée, une épaisseur identique est conseillée par le fabriquant.

L’espace nécessaire au niveau du tiers moyen est de 1mm (Paniz 2017, Chiche 2019, Loi 2013, Scutellà 2017, Fradeani 2019). Si la préparation est très colorée il faut passer à 1.5mm (McLaren 2015 et 2018).

Pour les postérieures, la réduction occlusale doit être au minimum de 1 à 1.5mm selon les matériaux: 1mm pour la zircone 3Y, 1.2mm pour les zircones 4Y ou 5Y dites translucides (McLaren et Burgess 2018), et 1.5mm pour le disilicate (Brucia 2018). Si une stratification est prévue, il faut rajouter 0.5mm d’épaisseur.

Pour les antérieures, la réduction du bord libre sera de 1.5mm (Scutellà 2017, Paniz 2017, Fradeani 2019).

 

Il est possible de diminuer ces épaisseurs si un collage est envisagé, car celui-ci améliore la distribution des contraintes (McLaren 2015), en particulier s’il est réalisé sur l’émail. C’est ce qui peut justifier le succés clinique des couronnes ultra-fines en disilicate pressé avec une réduction de 0.2 à 0.3mm en cervical (Cortellini 2012, Valenti 2015 et Schmitz 2017).

Ce type de jauge permet de contrôler l'épaisseur occlusale de la préparation.

Technique opératoire

 

 

 

Etape 1

Une fraise flamme bague verte de diamètre 012 est insérée 1mm sous la gencive avec une angulation de 10 à 15 degrès (Scutellà 2017, Loi 2013, Paniz 2017, serra-Pastor 2010).

Cette étape a pour but d’ouvrir le sulcus et d’effacer le bombé de la jonction amélocémentaire.

Il est à noter que dans le cas d’un retraitement (dépose d’anciennes couronnes) ou si le substrat est très coloré, il peut être nécessaire de pénétrer plus profondément dans le sulcus.

Le curetage rotatif effectué au niveau de la gencive entraîne un saignement (« gingittage »), qui sera suivi de la formation d’un caillot sanguin dans la partie apicale du sulcus. Dans les jours qui suivent, grâce au contour cervical intrasulculaire convexe de la prothèse provisoire, ce caillot sera stabilisé et va, après maturation, épaissir la gencive marginale (Loi 2013, Scutellà 2017, Serra-Pastor 2019).

Etape 2

Puis l’axe de la fraise est redressé, parallèlement au grand axe de la dent .

Etape 3

La fraise est orientée vers le bord libre avec une angulation de 5 degrés.

Cette étape donne à la préparation sa dépouille et permet de libérer l’espace nécessaire pour la céramique au niveau de la limite (0.5mm).

Un polissage avec la même fraise 012 bague rouge est ensuite réalisé.

 

Les erreurs à éviter

 

Le risque de contre-dépouilles au niveau des parois axiales est important: après avoir tracé la limite verticale intra-sulculaire  il est indispensable de bien « surfacer » la paroi axiale afin de mettre de dépouille la limite avec le reste de la préparation (étape 3).

Il est possible de repérer les contre-dépouilles avec un miroir en vue occlusale, ou plus précisément si une empreinte optique est réalisée grâce aux outils de vérification, à condition d’avoir le temps…

Belles contre-dépouilles en vestibulaire et en mésial de la 46

La violation de l’espace biologique est aussi une erreur fréquente avec ce type de preparations. Non pas lors de la préparation, car il se peut que la fraise puisse atteindre l’attache conjonctive de la dent lors du tracé de la limite (Paniz 2017), voire la crête osseuse (Carnevale 1983), ce qui n’a pas d’incidence si un minimum de tissu kératinisé est initialement présent (2mm minimum, Scutellà 2017).

Par contre lors de la réalisation prothétique, la ligne de finition classique est remplacée par une surface de finition, qui doit être correctement interprétée par le prothésiste: la limite doit être tracée, manuellement ou virtuellement, 0.5 à 1mm en infra-gingivale. Pour cela le prothésiste doit pouvoir visualiser la gencive, par exemple en marquant son contour au crayon sur le die avant le détourage (Loi 2013).

Cagidiaco (2019) a montré qu’une limite à moins de 3mm de la crête osseuse entraînait une inflammation gingivale chronique, ce qui peut être contrôlé par exemple radiologiquement avant l’essayage ou la pose de la couronne.

Lors de la modélisation, il est possible sur des coupes 2D de situer la position du bord de la couronne par rapport au sulcus

Le risque de surcontour est souvent évoqué lorsque l’on parle de vertiprep, et Comlekoglu (2009) déconseillait pour cette raison ce type de finition alors que son étude montrait qu’elle était la plus précise au niveau du joint dento-prothétique.

Comme nous l’avons vu, une épaisseur minimale de 0.5mm à 0.8mm (zircone ou disilicate) au niveau du bord est nécessaire pour éviter le chipping dans cette zone. Dans le cas d’une limite horizontale, c’est la profondeur du congé (ou de l’épaulement) qui va ménager cet espace. Dans le cas de la limite verticale, c’est la convexité du contour cervical intra-sulculaire de la couronne, reproduisant celle de la jonction amélo-cémentaire, qui permet d’obtenir un bord suffisamment résistant

Au niveau des dents naturelles, l’angle d’émergence intra-sulculaire au niveau de la jonction amélo-cémentaire est de 15 degrés en vestibulaire des incisives centrales (un peu moins en palatin), de 12 degrés au niveau des latérales et de 11 degrés pour les canines. En revanche en interproximal, le contour cervical intra-sulculaire est plat (Du 2001).

On recherchera les mêmes valeurs au niveau de la couronne prothétique. D’après Loi (2013) et Sorensen (1990), il est même possible d’augmenter en vestibulaire l’angle d’émergence jusqu’à 45 degrés sans entraîner d’effet néfaste au niveau de la gencive. Ceci peut être utile pour augmenter l’épaisseur du bord de la restauration (plus l’angle est ouvert, plus l’épaisseur du bord augmente).

Ce « design » au niveau du bord prothétique doit être expliqué en détail au prothésiste, car il aura naturellement tendance à réaliser un bord « en lame de couteau » si aucune consigne ne lui est donnée.

Ce cas est typique des retraitements (dépose d'anciennes couronnes): l'ancienne limite a été éliminée et du coup la préparation est très prononcée (dans un plan horizontal).
L'angle d'emergence est ouvert et le bord de la couronne est épais

Resistance mécanique

Léger chipping au niveau du bord cervical de la couronne

Les limites verticales sont souvent perçues comme un facteur fragilisant les bords de la restauration en céramique, car la préparation au niveau cervical est peu invasive.

Cependant, il faut bien comprendre que le terme de knife-edge (lame de couteau) ne correspond pas à la réalité de la géométrie des bords de ces couronnes.

Comme nous l’avons vu précédemment, l’angle d’émergence de la couronne doit être compris entre 15 et 45 degrés pour reproduire la convexité d’une dent naturelle au niveau de la jonction amélo-cémentaire. Ceci a pour effet d’épaissir légèrement le bord de la restauration au niveau de la limite, et l’épaisseur minimale de céramique nécessaire dans cette zone peut être ainsi obtenue de manière non invasive (0.5mm pour la zircone ou 0.8 pour le disilicate si scellement).

Le design du bord n'est pas correcte: l'angle d'emergence est trop fermé, par conséquent le bord est trop fin (environ 0.3mm) et la gencive marginale n'est pas suffisamment soutenue
Il faut donc ouvrir l'angle d'émergence. Ce design est correct: le bord est suffisamment épais et la gencive marginale est bien soutenue par l'emergence intra-sulculaire de la couronne.

Reich (2008) a montré in vitro que la résistance des armatures en zircone (3Y) avec feather edge était supérieure à celles avec congé (1110 Mpa contre 697 Mpa). A noter que le passage de 0.5 à 0.3mm d’épaisseur diminue la résistance de la zircone de 30% (730 Mpa au lieu de 1110 Mpa), sachant que d’après Patroni (2010) la meilleure translucidité donc la meilleure intégration esthétique au niveau du collet (Patroni 2010) est atteinte quand l’épaisseur est de 0.3mm.

A l’inverse, Findakly (2019) montre in vitro que la résistance des couronnes en zircone scellées sur préparations horizontales est supérieure aux verticales, mais précise que la résistance de ces dernières est supérieure à la charge masticatoire maximale. D’après lui, l’épaisseur de la céramique au niveau de la face occlusale est le paramètre le plus critique pour les préparations verticales, car les contraintes se concentreraient à ce niveau (Beuer 2008). Ceci est également souligné par Kasem dans son étude (2020).

Cagidiaco (2019) in vivo et Sorrentino (2019) in vitro trouvent une résistance équivalente entre les couronnes en zircone à préparation verticales et horizontales pour une épaisseur de 0.5 au niveau des limites.

Poggio (2012) donne un taux de succés clinique à 6 ans de 99% pour les couronnes (zircones stratifiées) sur préparation verticale (un dent extraite sur 102 testées à cause d’une infection endodontique). A noter qu’il réalise un serti périphérique en zircone afin de limiter les risques de surcontour.

Concernant le disilicate, les études cliniques menées Cortellini (2012), Valenti (2015) et Schmitz (2017) donnent des taux de survie excellents: respectivement 98%, 96% et 98% sur une durée allant jusqu’à 12 ans. Les épaisseurs sont très faibles : 0.3 à 0.4mm au niveau de la limite (disilicate pressé), et les restaurations sont collées, en grande partie sur l’émail du fait de la faible réduction axiale des dents.

Intégration parodontale.

L’étude de Scutellà in vivo (2017) a montré que la présence de plaque et de saignement au sondage autour des couronnes avec préparation verticale étaient la même qu’autour des dents témoins de l’arcade (non traitées).

Ceci est lié à l’excellente adaptation marginale des feather edge, supérieure celle des limites horizontales (Fusayama (1964), Gavelis (1981) et Comlekoglu (2009)

De plus, l’incidence des récessions gingivales autour des feather edge est très faible: Paniz (2017) trouve 1.1% pour les feather edge contre 7.6% pour les limites horizontales.

En effet, le curetage rotatif durant la préparation de la face interne du sulcus (« gingitage ») induit un épaississement de la gencive marginale (+0.5mm selon Serra-Pastor 2017), ce qui améliore sa résistance.

Le contour cervical intra-sulculaire convexe de la couronne, qui maintient la gencive marginale sous tension (Wheeler 1961), contribue aussi à limiter les récessions autour des préparations verticales.

Conclusion

La philosophie de traitement moderne nous amène souvent à choisir les solutions les moins invasives: onlays et overlays pour les dents postérieures, sur lesquelles on aurait posé il y a quelques années des couronnes complètes, facettes ou full veneer pour les dents antérieures.

L’avantage de ces préparations est de préserver un maximum de tissu dentaire, mais aussi de localiser les limites en juxta ou supra-gingival, ce qui reste, d’un point de vue parodontal, la meilleure solution (Orkin 1987).

Cependant, les couronnes complètes trouvent toujours de nombreuses indications dans notre pratique quotidienne: dépose d’anciennes couronnes, dents très dyschromiées, dents avec plus de 50% d’émail détruit (caries mais aussi usure ou fracture), comme l’ont indiqué Mc Laren (2015), Scutellà (2017), Paniz (2017), et Kasem (2020).

Il est possible de diminuer le caractère invasif de ce type de restaurations en optant pour une préparation verticale intra-sulculaire.

En effet, la réduction au niveau cervical est faible et pourtant, l’épaisseur minimale au niveau du bord de la restauration (0.5mm pour la zircone et 0.8 pour le disilicate) peut être obtenue grâce au léger surcontour cervical de la restauration visant à reproduire le profil convexe physiologique de la jonction amélo-cémentaire.

Dans ces conditions, il est alors possible de sceller conventionnellement la couronne (cvi ou cvimar), ce qui a le mérite de simplifier le protocole clinique.